Qu’est-ce que la richesse a à voir avec la mission?


Nous vivons dans un monde qui est absorbé par ce qui est plus grand, meilleur, plus large, et toujours plus. Nous voyons cet état d’esprit dans les sports professionnels, les salles de comités, l’industrie du spectacle, et parfois même les églises. Le consumérisme a pénétré chaque aspect de la culture. Nous en avons peut-être été les victimes. Dans certaines parties du monde, la richesse et l’abondance sont considérées comme allant de soi. Dans d’autres parties, le seul intérêt est la lutte pour la survie. Nous entendons plusieurs voix proclamant les bénédictions de l’évangile de la prospérité. La richesse—de ce point de vue—est le résultat d’une relation transactionnelle entre le croyant et Dieu. Nous donnons une offrande à Dieu (le prédicateur proclamant cette perspective), et, pouvons être assurés que nous recevrons bien plus en retour. Mon offrande pour Sa bénédiction. Cela semble être un solide modèle d’affaires, mais est-ce biblique? Quelle est la relation de la Bible avec la richesse et la prospérité? Quelle est la relation entre la richesse et la mission? Finalement, comment notre conception des richesses et de la prospérité, affecte-t-elle notre compréhension de qui est Dieu?[1]

Au Commencement

Pour trouver quelques réponses à ces questions, nous devons commencer en Éden, au temps et lieu où tout a commencé. Beauté et abondance décrivent le mieux la création parfaite de Dieu alors que nous lisons à son sujet dans Genèse 1-2.

Tout était “très bon” (Gen. 1:31)—et ceci signifiait aussi abondant et généreux.

Adam et Ève étaient les intendants de Dieu (verset 28), représentants du Maître Concepteur, alors qu’ils nommaient les animaux et les plantes et en prenaient soin. Les plantes fournissaient une généreuse quantité de nourriture à la fois pour l’humanité et pour le monde animal. La mort était inconnue.

L’entrée du péché a tout changé—ou, peut-être, presque tout. Le doute et la méfiance ont commencé à pénétrer chaque relation, touchant les animaux de même que les humains. Après le départ forcé d’Adam et Ève du jardin d’Éden (Gen. 3:23, 24), la vie a ressemblé davantage à une bataille. Il fallait “travailler ” pour obtenir des produits; les enfants causaient des chagrins et des peines, et pas seulement au moment de leur naissance. La mort a changé la manière dont les gens considéraient la vie à toujours. La richesse est devenue un moyen d’essayer d’assurer l’avenir.

Être Richement Bénis

Nous pensons souvent à Abraham et aux autres patriarches comme des nomades qui luttaient pour gagner leur vie dans un pays qu’ils ne connaissaient pas. Ils étaient des nomades—mais ils n’étaient pas pauvres. Dieu avait promis à Abraham que ses descendants seraient aussi nombreux que les étoiles, ou le sable sur la plage (Gen. 22:17), même si le patriarche n’avait pas de fils. La stérilité de Sarah, cependant, ne reflétait pas la pauvreté dans la maison d’Abraham. En fait, il envoya 318 hommes entraînés de sa maison, à l’armée qui poursuivait les malfaiteurs Mésopotamiens qui avaient capturé Lot et ses possessions, ce qui laisse entendre que la taille de sa maison était importante (Gen. 14:14).

Abraham est décrit comme “très riche en troupeaux, en argent et en or” (Gen. 13:2; cf. 24:35).[2] De même Isaac reçut les bénédictions de Dieu, et devint riche (Gen. 26:12, 13). La richesse était cependant toujours connectée aux bénédictions divines. Plusieurs siècles après, Moïse rappela—incluant les bénédictions matérielles- que ce n’étaient ni leur travail dur ni leurs prouesses militaires qui leur donneraient la victoire et la richesse dans la Terre Promise. C’était leur dépendance envers Yahweh. “Souviens-toi de l’Éternel, ton Dieu, car c’est Lui qui te donnera de la force pour les acquérir afin de confirmer, comme Il le fait aujourd’hui, Son alliance qu’Il a conclue avec tes ancêtres en prêtant serment” (Deut. 8:18).

C’est un principe important quand nous considérons le point de vue de la Bible sur la richesse. Alors que nous sommes poussés à travailler avec diligence (Prov. 10:4) et honnêteté, on nous rappelle aussi que c’est la bénédiction de Dieu qui nous aide à prospérer (verset 22). La richesse ne peut jamais être la seule mesure de succès ou de bénédiction divine, comme c’est clairement visible dans l’histoire de Job.

“L’AT présente souvent la richesse de manière neutre, comme un don du Seigneur qui peut être employé à bon ou mauvais escient et qui peut être enlevé et rendu à nouveau par le Seigneur.”[3] Quand les gens ont foi en la richesse, ils perdent de vue la véritable source de leur bien-être, comme noté dans Psaume 49, qui évoque le concept de la richesse et de la fausse vérité.

Malheureusement, au temps de Christ, la richesse était souvent considérée comme la seule mesure de la bénédiction divine. Selon la même logique, être pauvre signifiait qu’une personne avait des défauts moraux et ne méritait pas la bénédiction divine. Jésus renversa ce concept. Quand le jeune chef riche demanda à Jésus comment hériter la vie éternelle, et que Jésus lui dit, de vendre tout ce qu’il avait, de donner l’argent aux pauvres, et puis de le suivre (Marc 10:21), Il nous rappela le principe selon lequel la richesse ne peut donner la sécurité (à tous les niveaux, matériellement, émotionnellement, et spirituellement). Les disciples furent choqués des implications de ce concept quand Jésus déclara: “Qu’il est difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le royaume de Dieu! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu.” (versets 24, 25). Contrairement aux rabbins, Jésus mit l’accent sur le fait que la richesse, sans une relation avec le Donateur des richesses, conduira ultimement à la distraction, et même, dans le pire scénario, à la destruction. Ceci mène à la question de savoir comment on devrait employer la richesse.

La Richesse et la Loi

Le soin particulier de Dieu pour les pauvres et les impuissants est ancré en Son souci pour le shalom de Sa création (voir Lév. 25:23-55). Les lois concernant l’emprunt, l’interdiction d’imposer des intérêts, ou les lois gouvernant l’esclavage de la dette, reconnaissent le fait que personne n’est à l’abri de la pauvreté, étant donné la précarité de la vie et de l’existence humaines. La phrase standard “Si ton frère devient pauvre” (versets 35, 39) rappelle au lecteur—à la fois ancien et moderne—que la pauvreté peut frapper rapidement. Même ceux qui travaillent consciencieusement et gèrent leurs ressources avec sagesse peuvent tomber dans la pauvreté à cause de circonstances au-delà du contrôle humain. Une famine soudaine,un Krach boursier dévastateur ou une récession financière, une pandémie mondiale, un accident horrible, et la pauvreté peuvent frapper à n’importe quelle porte. Alors que la paresse est diamétralement opposée aux valeurs de Dieu, ancrées dans Sa création et Sa loi, la pauvreté est rarement la faute de l’individu. Comme noté par Joel Kaminsky, érudit de l’Ancien Testament : “La notion que la personne pauvre peut ne pas être fautive de sa situation est aussi soutenue par le fait que les pauvres en général sont souvent associés aux justes, et opposés aux méchants qui fréquemment ont le rôle de riches oppresseurs des pauvres dans plusieurs passages des Psaumes, Proverbes, et du corpus prophétique (ex., Ps. 10:2-11; Prov. 28:6; Ésa. 3:14, 15; Soph. 3:12).”[4]

Nous voyons clairement que la richesse n’est pas seulement une bénédiction mais une obligation. Ceux qui jouissent de bénédictions matérielles sont invités à partager leurs bénédictions avec les autres—et aider à faire avancer la mission de Dieu.

Richesse et Mission

On peut trouver une belle illustration d’un bon usage des bénédictions matérielles dans Actes 2:44, 45, qui décrit la volonté des membres de l’église primitive de partager leurs richesses et leurs propriétés avec ceux qui ne possédaient presque rien. Cet engagement au partenariat et à la communauté (Grec koinonia) est décrit en termes de la communauté idéale—un point de vue radical si l’on considère les immenses différences socioéconomiques au premier siècle de l’Empire Romain, où certains estiment que les 2 pourcent au sommet de la société contrôlaient entre la moitié et les deux tiers des richesses et les 10 pourcent au bas de l’échelle sociale vivaient continuellement dans une pauvreté menaçant leur vie.[5]

La communauté décrite ici, se concentre sur les soins pour ceux qui ne pouvaient complètement s’occuper d’eux-mêmes et, en même temps, la plus grande mission de proclamer l’arrivée du royaume de Dieu à travers la mort et la résurrection de Jésus. Paul, plus tard, a commencé à recueillir des dons pour l’église à Jerusalem qui avait souffert de la perte et de la persécution (cf. Actes 11:29; Rom. 15:26, 27; 1 Cor. 16:1; 2 Cor. 9:1, 2), soulignant l’interconnectivité des croyants régionaux ou des frontières géographiques.

Qu’est-ce que cela veut dire?

“Le discours de la Bible sur les problèmes économiques nous force à engager Dieu, et cet engagement nous pousse dans un discours qui n’est pas entièrement renfermé dans d’autres formes de discours moral dans notre culture,”[6] écrit le théologien Luthérien Richard Nysse. Alors que nous pensons au point de vue de Dieu sur la richesse et la prospérité, nous devons revenir au commencement. La création nous offre une fenêtre dans le système de valeur de Dieu. Il n’est pas mesquin; Il a tout fait généreusement; Il donne l’exemple d’une générosité désintéressée. Finalement, en tant que Créateur et donateur de toutes les bonnes choses, Il a nommé l’humanité comme Ses intendants. Ils devaient prendre soin de Sa création, incluant aussi leurs semblables.

Très liée à notre rôle d’intendants pour Dieu, se trouve la réalité que tout ce que nous possédons, produisons, ou créons appartient finalement à Dieu . “La souveraineté appartenait à Dieu seul,” note Walter Kaiser, érudit de l’Ancien Testament. “Les mortels et les officiels qui gouvernaient ont simplement reçu la domination sur la terre pour laquelle ils répondaient à Dieu en tant qu’intendants.”[7] Cette perspective continue d’interpeller les personnes vivant au vingt-et-unième siècle. Nous avons tendance à célébrer ceux qui ont “réussi” financièrement. Nous apprécions les histoires de self-made millionaires. Souvent le pouvoir financier se traduit aussi par davantage d’influences dans nos églises. Cela fait partie de la culture à laquelle nous appartenons. Le système de valeur de Dieu, cependant, est différent. En tant que Ses créatures, nous sommes sujets et redevables à notre Créateur. Comme gestionnaires, nous sommes appelés à nous occuper de ceux qui sont marginalisés ou dans le besoin.

Les riches comme les pauvres peuvent refléter les aspects du caractère de Dieu et offrir des opportunités de croissance de notre relation avec Dieu. Être riche ou pauvre présente un instantané passager d’une réalité matérielle, mais ne dit rien de notre valeur innée. Notre point de vue de l’argent—et notre relation avec lui—seront toujours un défi dans les structures économiques actuelles. La Parole de Dieu nous invite à reconnaitre que la richesse n’est pas quelque chose que crée un individu, mais plutôt le résultat d’une occasion donnée par Dieu. Avec cette opportunité arrive toujours la responsabilité personnelle. Notre objectif financier le plus élevé ne devrait pas être une retraite anticipée ou un nombre de dollars à sept chiffres dans notre compte d’épargne. Cela devrait plutôt d’être un fidèle gestionnaire qui a toujours suffisamment à partager avec ceux dans le besoin.

Paul résume bien cette perspective dans le conseil donné à son jeune collaborateur Timothée: “Aux riches de ce monde, ordonne de ne pas être orgueilleux et de ne pas mettre leur espérance dans des richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne tout avec abondance pour que nous en jouissions. Ordonne-leur de faire le bien, d’être riches en belles œuvres , de se montrer généreux, prêts à partager. Ils s’assureront ainsi en guise de trésor de bonnes fondations pour l’avenir, afin de saisir la vie éternelle” (1 Tim. 6:17-19).


CITATIONS

La Parole de Dieu nous invite à reconnaitre que la richesse n’est pas quelque chose que crée un individu, mais plutôt le résultat d’une occasion donnée par Dieu.

Ce n’étaient ni leur travail dur ni leurs prouesses militaires qui leur donneraient la victoire et la richesse dans la Terre Promise. C’était leur dépendance envers Yahweh.

Les riches comme les pauvres peuvent refléter les aspects du caractère de Dieu et offrir des opportunités de croissance de relation avec Dieu.


[1] J’ai partagé certaines des idées de cet article dans “Argent, Propriété, et Pouvoir: Une Lecture d’Économies Divines de l’Ancien Testament.” Revue Adventiste, Novembre 2020, pp. 20-23.

[2] Textes de Segond 21 pour la version française.

[3] “Richesse et pauvreté,” in Dictionary of Daily Life in Biblical and Post-Biblical Antiquity, ed. Edwin M. Yamauchi and Marvin R. Wilson (Peabody, Mass.: Hendrickson, 2017), p. 1693.Dictionnaire de la Vie Quotidienne dans l’Antiquité Biblque et Post-Biblique (trad libre)

[4] Joel S. Kaminsky, “‘The Might of My Own Hand Has Gotten Me This Wealth’: Reflections on Wealth and Poverty in the Hebrew Bible and Today,” Interpretation 73, no. 1 (2019): 12. ‘La Volonté de Ma Propre Main M’a Donné Cette Richesse’: Réflexions sur la Richesse et la Pauvreté dans la Bible Hébreue et Aujourd’hui (trad libre)

[5] Craig S. Keener, Acts: An Exegetical Commentary. Volume 1: Introduction and 1:1­–2:47 (Grand Rapids: Baker Academic, 2012), pp. 1012, 1013.Actes: Un Commentaire Exégète. Volume 1: Introduction et 1:1-2:47 (trad libre)

[6] Richard Nysse, “Moral Discourse on Economic Justice: Considerations From the Old Testament,” Word and World 12, no. 4 (1992): 344.“Discours Moral sur la Justice Économique; Considérations de l’Ancien Testament” Mot et Monde (trad libre)

[7] Walter C. Kaiser, Jr., “Ownership and Property in the Old Testament Economy,” Journal of Markets and Morality 15, no. 1 (2012): 235.”Possessions et Propriété dans l’Économie de l’Ancien Testament”Journal des Marchés et Moralité.

Gerald A. Klingbeil

Gerald A. Klingbeil, D.Litt., sert comme éditeur associé de Adventist Review Ministries et est aussi un professeur chercheur de l’Ancien Testament et d’études de l’ancien Proche Orient au Séminaire Théologique Adventiste du Septième Jour, Université d’Andrews.